LA CRISE AU GUATEMALA: RETOUR À LA CASE DÉPART?
10 octobre 2017

La crise au Guatemala: retour à la case départ?
Par Guillaume Charbonneau, gestionnaire de programme, Inter Pares

Le 20 septembre dernier, le Parque Central de la capitale guatémaltèque connaissait un véritable raz-de-marée bleu ciel et blanc, couleurs du drapeau guatémaltèque. En cette journée ensoleillée, la population est descendue en masse dans la rue afin de réclamer la démission du président Jimmy Morales, un scénario qui s’est répété un peu partout dans le pays dans le cadre du Paro nacional[1] convoqué par une large coalition de mouvements sociaux. Derrière cette mobilisation, mais aussi sur toutes les lèvres et les affiches portées par les manifestants, on retrouvait l’expression d’un dégoût profond du peuple guatémaltèque face à l’impunité et la corruption de leurs dirigeant-e-s. Moins de deux ans plus tôt, l’ex-président Otto Pérez Molina était la cible de manifestations similaires. S’agit-il d’un retour à la case départ?

Les racines de la crise qui secoue présentement le Guatemala sont multiples et profondes. Cependant, l’élément déclencheur de ce plus récent épisode peut être retracé à l’intérêt de la Commission internationale contre l’impunité au Guatemala (CICIG) pour le thème du financement illicite des partis politiques. En effet, il fut établi que la plupart n’étaient pas en mesure de justifier la provenance d’une grande partie de leurs revenus au Tribunal suprême électoral guatémaltèque[2]. Le parti du président Jimmy Morales (FCN[3]) ne faisant pas exception, le frère et le fils de ce dernier furent éventuellement liés à certaines manœuvres illégales. Face à ces accusations, plutôt que de s’en distancier, le président prit leur défense sur différentes tribunes, ce qui fit sourciller une grande partie de la population ayant élu ce candidat au slogan « ni corrupto ni ladrón[4] ».

Les choses se compliquèrent réellement en septembre dernier, lorsque la CICIG demanda directement à la Cour constitutionnelle guatémaltèque[5] que l’immunité présidentielle soit retirée à Jimmy Morales, étant donné l’accumulation de preuves concernant ses propres agissements en tant que secrétaire général du parti. Cette demande fut refusée par le Congrès du Guatemala, qui décida d’ignorer délibérément les preuves présentées. Peu de temps après, le président lui-même publia une vidéo sur les médias sociaux dans laquelle il désignait la CICIG (et son président) comme non grata au Guatemala, considérant son action comme de l’ingérence et portant atteinte à la souveraineté du pays. Bien que cette décision ait été infirmée peu après par la Cour constitutionnelle, la manœuvre fut dénoncée presque unanimement par la société civile ainsi qu’une grande partie de la communauté internationale, notamment des États-Unis, important bailleur de fonds du gouvernement guatémaltèque.

Si la tension sociale était déjà élevée, l’indignation populaire explosa dans la nuit du 14 septembre. En effet, le Guatemala en entier apprit que dans le but de se protéger d’éventuelles accusations, la majorité des députés élus au Congrès (107, pour être exact) négocièrent et votèrent une modification du Code pénal représentant littéralement une amnistie pour les accusés de financement illicite. Puisqu’un tel décret modifierait aussi les sentences liées à 400 autres délits, il entrainerait de facto la libération de milliers de condamnés. Lorsque la nouvelle de ce « pacto de corruptos[6] » filtra dans les médias sociaux, des protestataires encerclèrent l’édifice du Congrès, empêchant les députés de sortir jusqu’aux petites heures du matin, suite à l’intervention de la police. Encore une fois, la Cour constitutionnelle dû intervenir pour bloquer cette décision, étant donnée la dangereuse brèche dans l’État de droit qui serait ainsi créée.

Ce qui nous ramène à la mobilisation du 20 septembre. Il n’y a pas si longtemps, le fait que des milliers de personnes défilent sur la place publique pour réclamer qu’on leur rende leur pays aurait été simplement impensable. Mais au cours des dernières années, le niveau d’indécence des scandales de corruption semble avoir eu raison de ce qui pouvait rester de peur chez les Guatémaltèques. Ceci étant dit, la suite n’est pas claire. Le président Jimmy Morales est toujours en place, les auteur-e-s du pacte des corrompus siègent encore au Congrès, et il n’existe présentement pas d’alternative politique suffisamment forte susceptible de prendre le pouvoir à court terme, les prochaines élections ayant lieu dans plus de deux ans. Beaucoup s’entendent pour dire que le Guatemala est en mal de réformes plus substantielles, à commencer par celle de la loi électorale régissant le financement des partis politiques, afin de laisser une réelle place aux alternatives citoyennes. Dans un deuxième temps, pourquoi ne pas rêver d’une assemblée nationale constituante afin de refondre le pays sur de nouvelles bases démocratiques? Ceci étant dit, tous et toutes s’entendent pour dire que les élu-e-s doivent continuer de sentir la pression, dans la rue, dans les journaux, sur les médias sociaux, mais aussi de la communauté internationale. Donc loin d’être un retour en arrière, le peuple guatémaltèque avance et réclame ses droits, malgré les obstacles systémiques.

[1] Équivalent de grève générale
[2] Entité responsable de superviser le processus electoral au Guatemala
[3] Frente de Convergencia Nacional. Ce parti, formé en grande partie de militaires ayant combattu lors du violent conflit armé interne guatémaltèque, s’est retrouvé au pouvoir un peu à la surprise générale, dans la tourmente ayant mis fin au terme du président précédent.
[4] « Ni corrompu ni voleur »
[5] Équivalent de Cour suprême
[6] Le pacte des corrompus, que l’on peut suivre avec le mot-clic #pactodecorruptos

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