CAS DU GÉNOCIDE MAYA IXIL LUCAS GARCÍA
27 mars 2020

CAS DU GÉNOCIDE MAYA IXIL LUCAS GARCÍA
Le cas du génocide Maya Ixil Lucas García
Par Julie-Anne Desnoyers

Le procès contre Efraín Rios Montt, chef d’État guatémaltèque de 1982 à 1983, débutait en 2013. D’abord jugé coupable et condamné à 80 ans de prison pour génocide et crimes contre l’humanité, le militaire et ex-dictateur a été, par la suite de procédures juridiques tumultueuses, déclaré « mentalement inapte » à être jugé. Néanmoins, la juge Jazmín Barrios, dans une décision historique, a laissé un lègue important : la reconnaissance du génocide Maya Ixil.

Sept ans plus tard, un nouvel espoir renaît auprès des survivants du génocide. La capture de Cesar Noguera Argueta, ex-chef des opérations militaires entre 1982 et 1983, a provoqué l’ouverture des audiences de premières déclarations le 28 octobre 2019 non seulement à son encontre, mais également à l’encontre de Manuel Benedicto Lucas García, ex-chef de l’État-major, et Manuel Antonio Callejas y Callejas, ex-chef des services d’intelligence militaire, tous deux en fonction entre 1978 et 1982. Effectivement, durant son année d’activité, Noguera Argueta se trouvait sous le mandat des deux ex-militaires cités ci-dessus. L’Association pour la justice et la réconciliation (AJR), représentant 22 communautés mayas ayant été affectés dans la violation de leurs droits et libertés lors du conflit armé, se porte partie plaignante, et ce, depuis l’an 2000, année où la plainte a officiellement été déposée.

Les audiences de premières déclarations, présidées par le juge Miguel Angel Galvez, se sont déroulées au « Juzgado de Mayor Riesgo B » (Tribunal de haut risque) à la capitale du Guatemala. L’objectif des audiences de premières déclarations, est, tout d’abord de qualifier les faits et les preuves sur lesquels le ministère public et la partie plaignante se fondent, et dans un deuxième temps, de communiquer aux parties les résultats des différentes investigations ainsi que d’écouter les arguments de la défense.

L’ensemble de ce processus s’est terminé le 25 novembre 2019 par une audience lors de laquelle le juge Galvez a formellement déposé une accusation à l’encontre des trois ex-militaires, prévoyant ainsi l’ouverture du procès pénal pour le mois de mars 2020. Le débat, qui se déroulera au printemps prochain, sera présidé par trois juges différents du juge Galvez, et concrétisera l’accusation. Les accusés seront à nouveau entendus s’ils le désirent et la réception des preuves sera exposée. Cette dernière étape implique notamment les déclarations des témoins et survivants du génocide Maya Ixil.

Selon le ministère de la justice guatémaltèque (institution autonome qui veille a la bonne application du droit), l’AJR et l’avocat engagé par le Bureau des droits humains de l’Archevèque du Guatemala (Oficina de Derechos Humanos del Arzobispado de Guatemala) pour représenter la partie plaignante, Mynor Melgar, entre juillet 1978 et mars 1982 ont eu lieu pas moins de 31 massacres au cours desquels 1128 personnes ont été assassinées, 23 villages ont été détruits, 97 personnes ont été exécutées de façon sélective, 117 personnes sont décédés suite à des déplacements forcés, 26 cas de violences sexuelles et 53 cas de disparitions forcées ont été répertoriés dans les municipalités de Santa María Nebaj, San Gaspar Chajul et San Juan Cotzal du département du Quiché, Guatemala.

Les trois ex-militaires sont accusés d’avoir exécuté, organisé, dirigé, planifié et supervisé la réalisation des crimes précédemment cités. Plus particulièrement, Manuel Benedicto Lucas García, en tant qu’ex-chef de l’État-major, est accusé d’avoir sélectionné et identifié certaines parties du territoire Quiché comme « zone rouge », et d’avoir défini le peuple Maya Ixil comme « ennemi interne ». Selon le ministèrede la justice, tout en sachant qu’ils « affectaient la vie, l’intégrité et la liberté » des personnes ciblées par les attaques, Lucas García et ses subalternes ont perpétré l’extermination organisée des communautés Maya Ixil. Bien que Lucas García n’ait assumé aucune responsabilité dans sa déclaration, Noguera Argueta et Callejas y Callejas ont allégué qu’en tant que chef de l’État-major, Lucas García possédait le pouvoir de donner des ordres à ses subalternes. Parmi ceux-ci, les chefs des services d’intelligence et des opérations militaires.

Concluant son jugement, le juge a confirmé l’ordre de réclusion de Manuel Benedicto Lucas García et Manuel Antonio Callejas y Callejas au sein de l’hôpital militaire dans lequel ils exécutent présentement leur condamnation pour le cas Molina Theissen. Dans ce cas, le 23 mai 2018, tous deux ont été déclarés coupables et condamnés à 58 ans de peine privative de liberté pour la disparition de Marco Antonio Molina Theissen, âgé de 14 ans au moment des faits, ainsi que pour les actes de tortures et de violences sexuelles portés à l’encontre de sa sœur aînée, Emma Guadalupe. Cesar Noguera Argueta, pour sa part, a été assigné à résidence.

Malgré un climat de tension général, plus d’une centaine de victimes et témoins du génocide sesont présentés à la salle du « Juzgado de Mayor Riesgo B » pour assister aux audiences. Leur présence en a d’ailleurs marqué le déroulement. Les multiples groupes qui se sont déplacés ont démontré que la lutte pour la justice est encore forte et vivante dans les communautés et que le peuple Maya Ixil fait preuve d’une solidarité intergénérationnelle. Le 3 décembre 2019, la AJR et le Bureau de droits humains de l’Archevêque du Guatemala ont organisé une assemblée générale en guise de fermeture du processus des audiences de premières déclarations, à laquelle plus de 170 victimes du génocide se sont présentées. Dans la foulée de plusieurs déclarations et témoignages, Mynor Melgar rappela que lors de cette assemblée, « nous ne célébrons pas la mort, nous célébrons la vie de tous ».

Dans une conjoncture politique globalement défavorable, des avancées juridiques surprenantes ont vu le jour au mois de novembre 2019. À cinq jours d’intervalle de la décision du juge Galvéz, le juge Jimy Rodolfo Bremer Ramírez a formulé une accusation formelle à l’encontre de Luis Enrique Mendoza García pour génocide et crimes contre l’humanité, ayant occupé la fonction de chef des opérations militaires durant le gouvernement d’Efraín Rios Montt en 1982 et 1983. Un ordre de capture avait été émis en 2011 à son encontre, mais ce n’est que le 16 juin 2019 que Luis Enrique Mendoza García a finalement été capturé lors de la réalisation de son vote électoral dans la ville de Salamá, département de Baja Verapaz.

Cette vague de décisions juridiques favorables au peuple Maya Ixil pour l’atteinte d’une justice réparatrice nécessite toutefois un niveau de vigilance accrue quant à de possibles réactions de la part d’acteurs du pouvoir militaire. En effet, lors des audiences, de multiples incidents de sécurité tels que des intimidations, des agressions verbales, du harcèlement et des menaces ont été reportés envers les témoins et leurs familles. Cet ensemble d’événements inquiète tout autant la AJR et le Bureau des droits humains de l’Archevêque Guatemala que d’autres organisations nationales et internationales tel UDEFEGUA, OACNUDH et ACOGUATE. Des membres des comités Projet Accompagnement Québec-Guatemala, Peace Watch et le Collectif Guatemala s’impliquant auprès d’ACOGUATE, ont accompagné la AJR lors des audiences à l’encontre des trois ex-chefs militaires et ont assisté à des réunions et assemblées concernant la conservation de la mémoire de l’histoire Maya Ixil. Durant celles-ci, l’importance d’une communication optimale entre les communautés Maya Ixil affectées a été rappelée, afin d’assurer au mieux la sécurité de tous.

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