DÉBUT DU PROCÈS POUR LE MASSACRE DE L’AMBASSADE D’ESPAGNE
Article d’ACOGUATE paru le 30 septembre 2014, traduction vers le français par le Projet Accompagnement Québec Guatemala.
Le 1er octobre 2014 marquait le début du débat oral et public contre Pedro García Arredondo, chef du sixième Commando de la Police Nationale à l’époque où l’ambassade d’Espagne au Guatemala fut incendiée. Le 31 janvier 1980, trente-six personnes y moururent calcinées. Les victimes, principalement des paysans, cherchaient à obtenir la médiation de l’ambassadeur espagnol d’alors, Máximo Cajal, pour mettre fin à la répression et à la disparition forcée de paysan-ne-s de la région du Quiché. Durant le procès tenu au Tribunal B de Haut Risque, 14 personnes et 6 experts témoigneront, tandis que seront mis à contribution plus de 110 éléments de preuve, dont 7 documents audio-visuels.
PHOTO: ARCHIVES DE LA FONDATION RIGOBERTA MENCHU TUM
RETOUR SUR LES FAITS ET LE CONTEXTE
Le seul survivant de l’incendie, l’Ambassadeur espagnol Máximo Cajal, avait témoigné devant le juge Eduardo Cojulún en avril 2012, avant de décéder en 2014. Dans sa déclaration concernant ce qu’il a qualifié de « film de terreur », il a raconté comment les forces de sécurité avaient entouré l’édifice, puis fait irruption par le toit et en brisant la porte, armées de fusils et de haches.
Le paysan autochtone Gregorio Xuya avait également survécu à l’incendie et été transporté à l’hôpital avec l’ambassadeur, où il fut enlevé puis assassiné. Son cadavre torturé fut abandonné devant le bureau du Rectorat de l’Université San Carlos.
Peu de temps avant le massacre, les paysans du nord du Quiché s’étaient rendus dans la capitale du pays pour exiger du gouvernement la fin de la répression dans leurs communautés. Le Président du Congrès les avait reçus, mais de retour dans leurs communautés ils ne purent que constater une intensification de la répression, ce qui les incita à répéter leur voyage vers la capitale pour réitérer leurs revendications. Ne recevant aucune écoute auprès des entités de l’État guatémaltèque, ils cherchèrent de l’appui au niveau international et pensèrent que l’Ambassadeur espagnol, avec l’appui d’autres diplomates, pourrait jouer un rôle clef pour faire cesser la répression dans les communautés. Cette initiative connu la fin tragique que l’on connaît : l’incendie de l’Ambassade d’Espagne où furent brûlées vives 36 personnes.
L’auteur et diplomate Fernando Schwartz, dans son compte-rendu d’un livre publié par Maximo Cajal en 2000 sur les événements de 1980, écrivait : La police prit d’assaut l’ambassade et y mis feu, avec l’intention délibérée qu’aucun témoin ne survive à cet épisode. Dans les premières informations diffusées à la télévision et à la radio, avant qu’elles n’eurent le temps d’être censurées, on entendait clairement le colonel (second chef de la police judiciaire) diriger l’assaut et crier « C’est l’ambassadeur! Tuez-le! », au moment où il apercevait Cajal, brûlé et désorienté, franchissant la porte pour sortir.
DE L’IMPORTANCE QUE JUSTICE SOIT FAITE
Dans un communiqué de presse, la fondation Rigoberta Menchu Tum souligne comment « les secteurs du pouvoir et de l’État ont conçu et structuré un système d’impunité qui a permis d’accentuer la terreur et de réaliser leurs projets. Le rapport Mémoire du Silence de la Commission d’éclaircissement historique le démontre clairement : Les effets durables de la terreur ne furent pas seulement le résultat d’événements atroces; la machine de terreur comptait sur plusieurs piliers renforçant son efficacité, dont l’impunité. Les violations commises par l’État, par ses agents et autres personnes liées aux secteurs du pouvoir, sont restées impunies et leur récurrence s’est perpétuée. L’absence de justice et l’évidence de l’impunité ont créé l’impression qu’aucun délit n’était puni par une peine, qu’il n’y avait aucune limite qui puisse freiner le crime.
Pour la Fondation Rigoberta Menchú Tum et les proches des victimes du massacre, qui luttent depuis 34 ans pour que justice soit faite dans ce dossier, la vérité et la justice sont fondamentales pour le futur du Guatemala. Ils et elles voient dans ce jugement une opportunité pour cicatriser et guérir les blessures et pour que l’impunité soit rompue définitivement. Car selon Carlos Chocooj, directeur de la Fondation, l’impunité est profondément incompatible avec la dignité.
Pedro García Arredonto est donc accusé de plusieurs crimes; assassinats, tentatives d’assassinats et crimes contre l’humanité. Ces crimes qui lui sont imputés s’ajoutent à la sentence prononcée contre lui en août 2012 pour la disparition forcée de l’étudiant Edgar Saenz Calito, pour laquelle il avait écopé d’une peine de 70 ans d’emprisonnement.
Le cas de l’incendie de l’ambassade espagnole au Guatemala a été porté devant l’Audience nationale d’Espagne en 1999, suivant le príncipe de juridiction universelle, et a été qualifié d’acte terroriste par l’Espagne. En mai 2014, le juge espagnol Santiago Pedraz a décidé de poursuivre l’enquête, étant donné qu’il avait s’agit « d’assassinats terroristes, perpétrés dans un contexte plus large de crimes contre la population guatémaltèque ».
lun, 10/06/2014 – 10:53 — PAQG