https://quebec.huffingtonpost.ca/un-seul-monde/guatemala-lutte-contre-legs-dictateur-montt_a_23514396/
Mélisande Séguin
Le 1er avril dernier, à l’âge de 91 ans, l’ex-dictateur guatémaltèque Efraín Ríos Montt est décédé d’une crise cardiaque. Arrivé au pouvoir par un coup d’État en 1982, il avait été président du Guatemala entre le 23 mars 1982 et le 8 août 1983, période la plus sanguinaire du conflit armé interne (1960-1996). Sa présidence s’est notamment caractérisée par la politique de la «terre brûlée», où plusieurs villages mayas ont été décimés par l’armée.
La Commission d’éclaircissement historique, sous l’égide des Nations unies, a établi que les forces de l’État s’étaient rendues coupables entre 1978 et 1985 d’actes de génocide, se traduisant par la mort de 200 000 personnes, dont 83% d’origine maya. Le conflit a aussi provoqué le déplacement interne d’un million de personnes et 500 000 individus ont dû trouver refuge à l’extérieur du pays.
En mai 2013, Ríos Montt fut condamné à 50 ans de prison pour génocide contre le peuple maya ixil et à 30 ans pour crimes contre l’humanité.
En mai 2013, Ríos Montt fut condamné à 50 ans de prison pour génocide contre le peuple maya ixil et à 30 ans pour crimes contre l’humanité. Cette décision fut saluée internationalement, puisqu’il s’agissait de la première fois qu’un président était condamné pour génocide dans une cour nationale. Le procès mit en lumière la fracture du pays en deux camps: d’un côté, celui en faveur de la justice transitionnelle et du procès pour génocide; de l’autre, celui niant toute intention de génocide de la part des militaires.
PROCÈS MANIPULÉ
Tout au long de l’affaire, les avocats de Ríos Montt ont utilisé différents stratagèmes pour faire distraction sur les enjeux de fond et perturber le déroulement du procès. Dix jours après le verdict, la Cour constitutionnelle infirmait la décision arguant des vices de procédure. Le procès dut retourner en arrière dans les procédures, obligeant ainsi les victimes à répéter leur témoignage et à se rappeler les événements extrêmement douloureux desquels elles avaient souffert, comme témoins du massacre de leurs proches ou comme survivant.e.s de viols et de torture.
Après s’être présenté au tribunal en ambulance sur une civière en janvier 2015, Ríos Montt fut déclaré sénile et mentalement inapte à subir un nouveau procès.
Après s’être présenté au tribunal en ambulance sur une civière en janvier 2015, Ríos Montt fut déclaré sénile et mentalement inapte à subir un nouveau procès. Depuis octobre 2017, le procès a repris à huis clos en même temps que le procès contre l’ancien chef de l’intelligence militaire de Ríos Montt, Mauricio Rodríguez Sánchez.
Même dans l’éventualité où il aurait été jugé coupable une seconde fois, Ríos Montt aurait échappé à la prison en raison de son état de santé. Ríos Montt faisait d’ailleurs face à un second procès, celui du massacre de la communauté de Dos Erres. Son décès a marqué l’annulation des deux procès à son encontre. Celui contre Rodríguez Sánchez se poursuit toutefois; une sentence devrait être donnée en août.
SUITES DU DÉCÈS
Clamant son innocence jusqu’à la fin, l’ex-dictateur et pasteur évangélique de l’Église du verbe est ironiquement décédé le dimanche de la Résurrection et un premier avril. Le corps de Ríos Montt fut enterré de façon expéditive le jour même de sa mort, après une veillée mortuaire privée d’à peine 10 heures dans la maison familiale et des funérailles sous la direction de membres de l’armée. Le quotidien Prensa Libre révélait que les personnes rassemblées au cimetière applaudissaient «Que viva el general Ríos Montt!».
À la suite de l’annonce du décès, le groupe des enfants de personnes disparues pendant le conflit (H.I.J.O.S) convoqua un rassemblement ayant pour slogan «Génocidaire: la mort ne t’absout pas de tes péchés et ne te pardonne pas – Pas d’oubli, ni de pardon!». Plusieurs activistes pour la justice transitionnelle ont également rappelé que la justice guatémaltèque avait déjà reconnu Ríos Montt coupable de génocide et que c’est à ce titre que la mémoire collective le remémorera.
LA LUTTE CONTINUE
Dans une entrevue accordée à Marie-Dominik Langlois, doctorante en sociologie de l’Université d’Ottawa, Mateo Pablo, survivant maya et témoin oculaire du massacre de sa famille et du village de Petanac le 14 juillet 1982 et réfugié à Montréal depuis 1996, explique que la nouvelle lui fut difficile à prendre: «Même si la blessure a presque guéri, les cicatrices demeurent et mes plaies se sont rouvertes en apprenant la mort de Ríos Montt parce que l’incompétence de la justice guatémaltèque a empêché d’aboutir à une condamnation ferme». Il ajoute que «la lutte pour la justice n’est pas terminée : Ríos Montt n’était pas le seul, tous ceux qui l’entouraient doivent purger une peine. Ça suffit de se moquer des victimes, j’exige justice et réparation pour les dommages causés aux centaines de milliers de victimes guatémaltèques».
Le conflit armé interne guatémaltèque et plus particulièrement la période où Ríos Montt était au pouvoir a attiré l’attention de la communauté internationale.
Le conflit armé interne guatémaltèque et plus particulièrement la période où Ríos Montt était au pouvoir a attiré l’attention de la communauté internationale et a mené à la mise en place de différentes initiatives solidaires telle que l’accompagnement international. Ce moyen d’action non violent ayant pour but d’ouvrir des espaces pour la paix a été employé pour la première fois dans le contexte guatémaltèque en 1982, au plus fort du conflit armé. À cette période, des militant.e.s de partout dans le monde se sont porté.e.s volontaires pour accompagner physiquement des défenseur.e.s des droits humains guatémaltèques dans les actions qu’il.elle.s menaient pour promouvoir la paix et protéger la population guatémaltèque alors aux prises avec une dictature génocidaire.
L’accompagnement international a toutefois joué un rôle particulièrement important en 1995, lorsque les personnes qui avaient fui les massacres orchestrés par l’armée sous Ríos Montt et qui s’étaient réfugiées au Mexique ont manifesté leur désir de rentrer au Guatemala en prévision de l’éventuelle signature des accords de paix qui mettraient fin au conflit armé.
Encore une fois, de nombreux.ses militant.e.s se sont déplacé.e.s au Mexique pour traverser la frontière avec des groupes de personnes qui retournaient dans leurs communautés dans l’espoir de reconstruire ce qui avait été détruit par 36 ans de violence inouïe, de racisme, de violence sexuelle et de dépossession. Au Québec, il existe une communauté solidaire avec le Guatemala forte de plus de 25 ans d’engagement et dont plusieurs membres ont accompagné le retour des réfugié.e.s.
HÉRITAGE DE LA DICTATURE
L’héritage du conflit armé guatémaltèque et de la présence de Ríos Montt à la tête de ce pays est cependant loin d’avoir pris fin en 1996. Depuis quelques années, le Guatemala fait face à des niveaux de violence plus élevés que ceux de la période de conflit armé interne. Selon les chiffres de l’Union des défenseur.e.s guatémaltèques, entre janvier et juillet 2018, on comptait déjà 236 agressions contre des défenseur.e.s dont 13 assassinats en plus de 76 cas de criminalisation pour avoir défendu les droits des peuples autochtones ou l’environnement.
Ainsi, l’accompagnement international continue d’être sollicité, cette fois par des défenseur.e.s de droits humains qui luttent pour la justice transitionnelle et la protection des territoires. Des accompagnateur.trice.s internationaux.ales ont d’ailleurs été présent.e.s auprès des survivant.e.s du conflit, des témoins et de l’équipe juridique qui les défendait à chaque étape du procès contre Ríos Montt.