PAR ÉMILIE DUFRESNE
ACCOMPAGNATRICE DU PAQG, AVRIL 2009
Depuis un mois, je me promène dans la région de l’Ixil, située au nord-ouest du pays. Je visite quelque neuf communautés, toutes bien différentes les unes des autres; elles ont des histoires diverses, mais bien souvent, des luttes communes. L’histoire d’Ilom, communauté que j’accompagne, représente bien la situation des luttes pour la terre au Guatemala : une bataille entre David et Goliath, entre les campesinos et les grandes entreprises. Un village et quelque sept cents familles qui réclament leur Terre, la Terre de leurs ancêtres contre un propriétaire qui veut exploiter les ressources naturelles jusqu’ à la dernière goutte.
À qui appartient la terre ? – Tout commence après la guerre, quand un désaccord survient entre la communauté d’Ilom et un grand terrateniente dont la propriété, la Finca La Perla, s’étend sur le même territoire. Selon la communauté, le finquero a volé des terres appartenant aux ancêtres de la communauté avant la guerre et le propriétaire actuel affirme aujourd’hui que ces terres sont siennes. Évidemment, le vol est contesté et la finca pousse même l’argumentation jusqu’ à dire que la communauté d’Ilom s’est établie illégalement sur ses terres. C’est alors qu’une étude du gouvernement d’Alfonso Portillo [2000- 2004] démontre que, selon les actes de propriété, la terre appartient bel et bien à la communauté d’Ilom. Ce qui semble une grande victoire n’en est pas vraiment une : en effet, ni l’administration Portillo ni les administrations Berger [2004-2008] et Colom [2008 à aujourd’hui] n’ont pris de mesures visant à obliger les propriétaires à rendre les terres à la communauté; l’étude de propriété est restée lettre morte. Et sans l’appui du gouvernement, le pouvoir de la communauté vis-à-vis la finca est bien mince. Un projet hydroélectrique – Depuis les années 2000, le prix du café a chuté de façon importante. La Finca La Perla, productrice de café entre autres, a donc cherché un meilleur moyen pour faire de l’argent. C’est ainsi qu’en 2004, une partie de ses terres fut vendue aux fins d’un projet hydroélectrique impulsé par des intérêts majoritairement étrangers (notamment du Honduras). La construction du projet Hydro Xacbal fut entamée, dans la région de Chajul où se trouve Ilom; il s’agit de l’un des plus gros projets hydroélectriques des vingt dernières années. Sa mise en opération est prévue pour l’année 2010.
Consultations populaires et réactions des communautés – Chajul est une région pauvre où, ironiquement, la majorité des municipalités n’a pas accès à l’électricité. Un seul poste d’alimentation électrique, situé dans la municipalité de Sacapulas, dessert la région de Chajul : le service est coûteux et de piètre qualité, et n’alimente qu’une partie de la région. Fait d’autant plus ironique, l’électricité produite par Hydro Xacbal n’est pas destinée aux communautés environnantes, mais au poste d’alimentation de Quetzaltenango, a plus de 200 KM de la région. À la proposition de Nicolas Gomez, prêtre de la municipalité de Chel, de créer un poste d’alimentation à Chajul afin d’offrir un service de meilleure qualité à toute la région, la compagnie hondurienne répond qu’il en serait trop coûteux pour elle et que la responsabilité de distribuer l’électricité revient au gouvernement et non à une compagnie privée. Les communautés affectées par la construction de ce projet insistent sur le fait qu’elles ne sont pas nécessairement contre la compagnie hydroélectrique, mais qu’elles revendiquent un processus de consultation populaire adéquat et ouvert, qui permettra à la population d’être informée des impacts environnementaux; elles demandent également une plus grande mesure des retombées positives et des bénéfices pour les communautés. En 2007, le gouvernement a invité la Table de Concertation de la Région Ixil ainsi que la compagnie Hydro Xacbal à se réunir afin d’entendre les demandes des communautés et d’arriver à des arrangements, mais la réunion fut annulée pour cause de « force majeure » et ne fut pas reportée. Les demandes des communautés restent donc toujours ignorées.
Droit de passage – En 2009, Hydro Xacbal a acheté plusieurs terres à la Finca La Perla afin d’acquérir un droit de passage pour la machinerie de la compagnie. Ainsi, chaque famille d’Ilom acceptant de s’inscrire recevra deux portions de terre (d’une grandeur à peine suffisante pour cultiver de quoi nourrir une famille). Mais pour plusieurs personnes à Ilom, il s’agit d’une mauvaise blague puisque, selon eux, les terres leur appartiennent déjà, et la Finca vend et profite donc de ce qui ne lui appartient pas. Certains ne s’inscriront pas pour recevoir ces deux portions de terre, puisque ce serait, d’une façon, reconnaitre que ces terres ne sont pas les leurs. Voici d’ailleurs une déclaration faites par la CONIC, Coordinadora Nacional Indigena y Campesina: « Les terres où se situent la compagnie hydroélectrique ont été usurpées aux communautés. Le maire de Chajul, Manuel Asicona, a signé un accord avec la compagnie sans consulter les communautés. Il est lamentable que la compagnie achète des terres afin de les offrir aux familles qui sont en faveur de la compagnie, alors que ces terres volées appartenaient à nos grand pères ». De plus, cette distribution de terres aux familles d’Ilom par la compagnie pourrait bien représenter une façon de neutraliser l’opposition. En effet, il devient bien difficile de critiquer la compagnie lorsque l’on vient d’accepter son cadeau.
Mais, entre le travail aux champs pour nourrir les nombreux enfants, les soucis quotidiens et la lutte contre la pauvreté, après des années de guerre et de violence, la majorité des gens de la communauté veut simplement vivre en paix. Sans lutter. Ils accepteront donc les deux portions de terre pour planter quelques arbres à café de plus ou pour cultiver quelques épis de mais. Que peut faire Ilom contre Goliath ?