LA LEY DE RECONCILIACIÓN NACIONAL: Instrument de paix ou d’impunité?
PAR GUILLAUME CHARBONNEAU
Signés au mois de décembre 1996, les Accords de paix du Guatemala devaient marquer la fin d’une triste période, caractérisée par l’un des conflits armés les plus meurtriers à s’être déroulé en Amérique latine. Avec la signature de la paix vint l’espérance que justice soit faite pour les quelques 200 000 morts et disparus, dont une majorité de civils.
C’est aussi dans la foulée de ces Accords de paix que fut approuvée par le Congrès guatémaltèque la Ley de Reconciliación Nacional (Loi de réconciliation nationale), aussi connue comme le Décret 145/19961, et qui est loin d’être la seule en son genre en Amérique latine. L’emploi du champ lexical de la paix qui la caractérise occulte cependant un outil d’amnistie fortement utile aux responsables des nombreux crimes et atrocités commis durant le conflit armé interne. Aujourd’hui encore, alors que l’impunité demeure un problème hautement préoccupant au Guatemala, on emploie de manière récurrente la Loi de réconciliation nationale afin de se soustraire au poids du passé.
Les paragraphes d’introduction du décret 145/1996 l’établissent clairement: parce que la paix relève de l’intérêt national, le renforcement des institutions et de la stabilité sociale, de même que l’unité et le développement du pays requièrent certaines mesures spéciales dans un contexte de fin de conflit armé interne. Au cours de ce conflit ont été commis des gestes qui, selon la loi, sont considérés comme des délits politiques ou délits communs connexes. Alléguant que la réconciliation doit tenir compte les circonstances entourant les gestes posés par chaque individu, la Loi de réconciliation nationale enlève toute responsabilité pénale pour les délits politiques perpétrés entre 1962 et 1996. Cela concerne les délits commis par des forces s’opposant à l’État, notamment les guérillas, de même ceux perpétrés par les autorités étatiques ou les membres de ses institutions afin de prévenir un délit politique. Toutefois, la loi ne s’applique pas aux délits de génocide, de torture, et de disparition forcée, conformément au droit interne et aux traités internationaux ratifiés par le Guatemala.
Un peu partout en Amérique latine, on retrouve des variantes de ce genre de mesures amnistiantes mises en place suite à une étape trouble de l’histoire du pays. Tout d’abord un voisin du Guatemala, le Salvador : La guerre civile opposant le Frente Farabundo Martí de Liberación Nacional (FMLN) et les forces armées salvadoriennes entre 1980 et 1991 causa près de 70 000 morts et disparus. Les conclusions du rapport de la Commission de la vérité qui suivit les accords de paix étant considérées injustes par l’armée salvadorienne, elles furent catégoriquement rejetées par celle-ci. Face à ces pressions, le gouvernement adopta une loi d’amnistie extrêmement large, la Ley de Amnistía General para la Consolidación de la Paz (Loi d’amnistie générale pour la consolidation de la paix).
Cette loi accorde une amnistie pleine, absolue et sans conditions à tous ceux ayant commis des crimes de nature politique, ou crimes communs reliés à des crimes politiques, avant le 1er janvier 1992.
Au Chili, le décret-loi No 21912 fut établi cinq ans après le coup d’État du Général Augusto Pinochet. Il empêche que soient jugés les individus qui auraient perpétré des actes criminels durant la période comprise entre le 11 septembre 1973 et le 10 mars 1978, période au cours de laquelle était officiellement décrété l’état d’urgence. Même si cette loi contribua aussi à la libération d’une centaine de prisonniers politiques, Amnistie Internationale et la Commission internationale de juristes considèrent qu’en réalité, elle ne représente qu’une manoeuvre de la part du gouvernement militaire visant à protéger ses membres face à d’éventuelles poursuites judiciaires. De ce fait, la grande majorité des violations systématiques et généralisées des droits humains perpétrées durant cette période restent impunies. Il serait aisé d’établir un parallèle avec la Loi de réconciliation nationale qui, malgré son apparente équité, couvre une période durant laquelle l’État guatémaltèque (armée, groupes paramilitaires et autres forces de sécurité) aurait perpétré 93% des violations des droits humains3.
Au coeur du pays, nombreux sont les exemples de cas où la Loi de réconciliation nationale a un impact déterminant sur les sentences des accusés, particulièrement en ce qui a trait au crime de disparition forcée. Le cas de Choatalúm, village du département de Chimaltenango, concerne six disparitions forcées qui eurent lieu entre 1982 et 1984. Felipe Cusanero Coj, en sa qualité d’auxiliaire militaire de l’époque, en fut accusé. À prime abord, un verdict de culpabilité semble relever de la simple logique, le crime de disparition forcée figurant au nombre des délits n’étant pas couverts par ladite loi. Malgré tout, la défense de Cusanero tenta de démontrer que la loi ne pouvait être appliquée rétroactivement, le délit de disparition forcée ayant été créé en 1996.
En bout de ligne, cet argument d’inconstitutionnalité fut rejeté par le juge et Cusanero, condamné. Ceci étant dit, la défense porta la décision en appel, demande qui est en ce moment étudiée par le système judiciaire guatémaltèque. Un autre cas dont l’issue pourrait être fortement influencée par la décision que rendra le juge sur le sort de Cusanero est celui d’El Jute. El Jute est une communauté où font présentement face à la justice trois anciens auxiliaires militaires ainsi qu’un ancien colonel impliqués dans la disparition forcée de sept personnes au début des années 1980. En 2007, la défense des accusés demanda au juge de première instance de mettre un frein aux procédures judiciaires intentées contre les anciens militaires, qui étaient alors en détention préventive depuis deux ans. Selon la défense, les crimes dont ils étaient accusés ne seraient pas des disparitions forcées, mais bien des séquestrations, libérant ainsi les accusés de toute charge en vertu de la Loi de réconciliation nationale. La Cour constitutionnelle, la plus haute instance juridique du pays, pencha en faveur des accusés en décembre 2008. Ceci étant dit, une alliance formée de diverses organisations de la société civile réussit à faire suffisamment pression pour que cette décision soit portée en appel. Un processus judiciaire exceptionnel fut enclenché de manière à ce que les accusés soient jugés par le Tribunal de sentence de la région, procès qui a encore cours au moment où sont rédigées ces lignes.
RÉFÉRENCE :
1 DECRETO NUMERO 145-1996 – LEY DE RECONCILIACIÓN NACIONAL, 27 DICIEMBRE 1996 [EN LIGNE], HTTP://WWW.ACNUR.ORG/BIBLIOTECA/PDF/0148.PDF (PAGE CONSULTÉE LE 15 NOVEMBRE 2009).
2 AMNISTÍA INTERNACIONAL, « PIDEN ANULAR LA LEY DE AMNISTÍA », EL CLARÍN DE CHILE, SANTIAGO DE CHILE, LUNES 16 DE OCTUBRE DE 2006.
3 SELON LA COMISIÓN PARA EL ESCLARECIMIENTO HISTÓRICO, L’ORGANISME AYANT ÉTÉ CHARGÉ DE FAIRE LA LUMIÈRE SUR LE CONFLIT INTERNE AU GUATEMALA (IMPUNITY WATCH, RECONOCIENDO EL PASADO, DESAFÍOS PARA COMBATIR LA IMPUNIDAD EN GUATEMALA, GUATEMALA, PUBLICACIÓN DE IMPUNITYWATCH, 2008, P. 12).
mar, 06/17/2014 – 10:42 — PAQG