Puerto Barrios, Izabal, Guatemala – La militante autochtone q’eqchi’e María Magdalena Cuc Choc est comparue devant le tribunal pénal de Puerto Barrios aujourd’hui pour affronter des accusations d’usurpation de terres, de profération de menaces et de détention illégale.
Les avocats de Choc estiment que les accusations font partie d’une tendance plus large vers la criminalisation de la contestation sociale au Guatemala.
Depuis décembre 2016, Choc appuie bénévolement la communauté de Chab’il Ch’och’ en tant que promotrice de droits de la personne, droits autochtones et droits des femmes.
La communauté, composée d’environ 50 familles paysannes issus de l’ethnie autochtone q’eqchi’e, est au cœur d’un conflit foncier qui implique certains membres de l’élite politique et économique du pays, dont l’ancien président Otto Pérez Molina.
« Je rejette ces accusations », a déclaré Choc avant son audience, toujours menottée. « J’ai toujours fait du travail honnête auprès des communautés q’eqchi’es. J’arrive ici la tête haute et j’en ressortirai la tête haute. »
À la suite d’une courte audience à huis-clos demandée pas ses avocats, Choc a été libérée sous caution (5 000 GTQ ou environ 850 $). Cependant, il lui est interdit de se déplacer hors du département d’Izabal et elle devra se présenter une fois par mois devant un tribunal local jusqu’à la fin de son procès qui débutera en juillet 2018.
Dans l’entretemps, elle dit vouloir continuer à lutter pour les droits des communautés q’eqchi’es.
« Personne ne peut me faire taire », affirme Choc. « Il y a beaucoup d’injustice dans ce pays. Les lois sont écrites et appliquées dans l’intérêt des acteurs puissants, mais je continuerai à faire ce que j’ai toujours fait. Je connais mes droits. »
Vague de criminalisation
« Nous croyons qu’il y a une tendance systémique vers la poursuite au criminel des défenseurs des droits humains, » a affirmé Juan Castro, un des deux avocats qui défendent Choc.
« Il y a un principe juridique qui dit que les gens ne doivent pas être poursuivis sans qu’il y ait eu une enquête sérieuse et préalable, ce qui n’est pas le cas ici. On peut l’ajouter à la liste de cas que l’on connaît où les défenseurs des droits humains sont visés injustement par des poursuites criminelles. »
La criminalisation est une stratégie où l’on utilise la justice criminelle pour délégitimer, museler et punir un adversaire politique. En effet, plusieurs militants, leaders communautaires et autres acteurs de la société civile au Guatemala ont passé des semaines, des mois, ou encore des années en prison avant d’être libérés pour manque de preuves.
D’autres ont reçu des peines de prison contestées. Le frère de María Choc, Ramiro, a passé presque six ans en prison pour des délits similaires à ceux auxquels sa sœur fait face aujourd’hui.
Les proches de María Choc ont donc été visiblement soulagés à entendre qu’elle sera libérée sous conditions.
« J’ai immédiatement pensé à ce qui s’est passé avec Abelino [Caal, autre militant q’eqchi’] », a déclaré German Chub. « Ça fait presque un an qu’il est en prison et j’ai eu peur que la même chose se reproduirait avec María. »
Une famille visée
German Chub connaît María Choc et sa famille depuis des années puisqu’il est un des requérants dans les poursuites civiles lancées au Canada contre la multinationale Hudbay Minerals. La sœur de Choc, Angelica, en fait partie aussi.
Les poursuites allèguent que les gardes de sécurité de la mine Fénix à El Estor, alors filiale de Hudbay, ont violé onze femmes lors d’une éviction extrajudiciaire, ont tiré sur German Chub qui est maintenant paralysé et ont assassiné le leader communautaire Adolfo Ich Chaman, mari d’Angelica Choc.
German Chub et Angelica Choc ont eux aussi subi des menaces et des tentatives de criminalisation à cause de leur quête de justice.
Angelica Choc était présente à l’audience de sa sœur.
« Au Guatemala, les femmes autochtones sont le groupe qui subit le plus de discrimination et qui reçoit le moins de protection, » a-t-elle dit à la petite foule de sympathisants réunie devant le palais de justice après l’audience.
« Malgré ça, nous sommes fiers de la cohésion et de la solidarité que vous avez démontré aujourd’hui. Nous sommes très contents avec la décision, en dépit des conditions, parce que María pourra rentrer chez elle et être avec ses enfants et sa famille. Elle nous a manquée, mais particulièrement à ses enfants.
« Nous espérons que [la criminalisation] arrêtera un jour et que les femmes autochtones ne devront plus souffrir comme María a souffert. »
Présence médiatique découragée
Les avocats de Choc ont demandé aux journalistes et aux observateurs nationaux et internationaux de rester à l’extérieur de la salle d’audience, un choix stratégique selon eux puisque le juge Edgar Aníbal Arteaga est supposément peu disposé à l’attention médiatique.
Les avocats veulent éviter une interdiction officielle des médias de la part du juge comme celle qui a eu lieu lors du procès de Mynor Padilla, l’ancien chef de sécurité de Hudbay Minerals qui est accusé de l’assassinat d’Adolfo Ich Chaman, le beau-frère de María Choc. La juge Ana Leticia Peña Ávila avait invoqué l’article 359 du code procédural pénal pour interdire la présence des médias et observateurs dans la salle d’audience, jugeant qu’ils faisaient preuve d’intimidation.
Conflit foncier à Chab’il Ch’och’ au cœur des accusations
Depuis décembre 2016, Choc appuie la communauté de Chab’il Ch’och’ en facilitant la formation d’un comité de femmes, en donnant des ateliers sur les droits humains, les droits autochtones et les droits des femmes, en recueillant les témoignages des habitants, en agissant comme interprète Q’eqchi’-Espagnol et en faisant le pont entre la communauté, les médias et la société civile.
Elle est désormais accusée d’avoir « détenu illégalement » – un délit semblable à mais moins grave que l’enlèvement – et menacé plusieurs habitants issus d’une communauté à proximité de Chab’il Ch’och’. Choc maintient que ces accusations sont fausses.
« Je ne comprends pas comment ils s’imaginent que j’ai pu toute seule détenir plusieurs hommes contre leur gré », déclara-t-elle devant un groupe de sympathisants rassemblés dans le palais de justice. « Je ne connais même pas ces personnes [qui m’accusent], c’est la première fois que j’entends leurs noms. »
L’accusation d’usurpation est liée à la question de possession des terres sur lesquelles Chab’il Ch’och’ a été établie. Le titulaire foncier reconnu par les tribunaux est Lisbal S.A., une société fantôme apparemment gérée par l’ancien président Otto Pérez Molina qui se retrouve en prison depuis septembre 2015 dû à l’affaire de corruption La Línea.
Les familles membres de la communauté Chab’il Ch’och’, en revanche, revendiquent un droit de possession historique. Les habitants affirment que soit eux ou leurs parents ont habité ces terres jusqu’à l’arrivée des éleveurs Ladinos (non-autochtones) pendant les années 1980, à l’apogée de la guerre civile guatémaltèque (1960-1996), qui les ont violemment chassés du territoire.
Malgré plusieurs tentatives de résoudre le conflit de manière pacifique, Chab’il Ch’och’ a subi une éviction forcée en octobre 2017. La Police Nationale Civile, qui a menée l’opération, a été accompagnée par des hommes en civil qui ont mis feu à toutes les maisons. Des avocats travaillant avec la communauté ont obtenu des documents qui démontrent qu’au moins une partie de l’opération a été facturée à Elías Joel Díaz Guerra, l’administrateur de la propriété.
Les avocats de Choc maintiennent que les accusations d’usurpation de terres, qui ont été portées en secret en janvier 2017, visaient la communauté de Chab’il Ch’och’ en soi, communauté dont Choc n’a jamais été membre. Ils comptent démontrer qu’elle a toujours habitée sa ville natale d’El Estor et ne se déplaçait à Chab’il Ch’och’ que de manière ponctuelle.
De plus, affirment les avocats, l’éviction d’octobre dernier représente la résolution juridique des accusations d’usurpation portées en janvier 2017. Il n’y a donc, dans leur opinion, aucun fondement légal pour juger un individu pour un délit collectif qui a déjà, en outre, été réglé par les tribunaux et les forces de l’ordre.
Les circonstances de l’arrestation de Choc sont aussi suspectes. Selon les documents présentés à la cour, son mandat d’arrestation date lui aussi de janvier 2017. Choc n’a jamais été avisée et n’a pas eu l’opportunité de se présenter volontairement devant un tribunal pour faire face aux accusations. Elle a été arrêtée le 17 janvier 2018 lorsqu’elle faisait un retrait d’argent.
« Ils m’ont dit au comptoir que mon compte était bloqué, raconte Choc, ce qui ne m’est jamais arrivé. J’avais retiré de l’argent la semaine d’avant et tout était en ordre. Ensuite, quand je me suis dirigée vers la sortie, j’ai vu des policiers qui m’attendait devant la porte et d’autres stationnés dehors. »
Choc n’a jamais tenté de dissimuler son lieu de séjour et utilisait les services banquiers régulièrement, ce qui veut dire que les autorités auraient pu la retrouver facilement pendant l’année qui s’est écoulée depuis l’émission du mandat d’arrestation.
En début janvier 2018, les habitants de Chab’il Ch’och’ sont retournés sur les terres qu’ils réclament pour reconstruire leurs maisons. Les proches de Choc soupçonnent que la décision de l’arrêter mercredi dernier est liée à la réoccupation de Chab’il Ch’och’.
Le manque de transparence et le timing de l’arrestation suggèrent donc que les accusations portées contre Choc étaient un outil politique à déployer au moment opportun plutôt qu’une question juridique légitime à résoudre de manière ordonnée et ponctuelle.