Par Annie Pelletier, coordonnatrice du PAQG au Guatemala
La question de l’énergie occupe désormais une place centrale dans la politique économique de plusieurs pays, et le Guatemala ne fait pas figure d’exception. Avec la hausse du prix du pétrole et l’augmentation conséquente du coût de la vie, le discours du développement n’a cessé de marteler la même exigence : il faut attirer l’investissement étranger au pays, mais d’abord et avant tout, il est nécessaire de mettre à la disposition des entreprises locales et étrangères une énergie abondante et à faible coût. Voilà ce qui a incité les gouvernements successifs à reconvertir la politique énergétique au Guatemala, et à se mettre au service de la sacro-sainte CACIF, la Chambre de commerce et des secteurs de l’agroalimentaire, de l’industrie et de la finance. « L’agenda de compétitivité » qu’elle a proposé au gouvernement en place repose d’ailleurs en grande partie sur la nécessité de rompre avec la dépendance au pétrole et à ses dérivés en promouvant de développement du secteur hydroélectrique1 et celui de la génération d’énergie par le charbon. Aussi, il n’est pas superflu de souligner que ce sont ces mêmes secteurs qui ont grassement financé la course électorale de l’Union Nationale de l’Espérance, le parti d’Alvaro Colom…
Force est de constater qu’actuellement, cet agenda ne fait pas l’unanimité chez ceux qui ont voté pour le président social-démocrate et qui se voient imposer des mégaprojets de développement énergétique en ayant la forte intuition que les bénéfices de ces initiatives ne leur sont pas destinés. Dans les campagnes, la colère gronde de plus en plus.
Xalalá, dans l’ombre de Chixoy
Le barrage hydroélectrique Chixoy constitue l’infrastructure la plus imposante existant au pays, avec une production estimée à 300 mégawatts. Situé dans le département de Baja Verapaz, Chixoy fournit actuellement 50% de l’énergie consommée au Guatemala ; et déjà, il ne semble plus suffire.
Construit en plein conflit armé, sur fonds de corruption, à coup d’évictions de populations majoritairement autochtones et de massacres répétés dans la communauté de Río Negro2, le barrage a créé un précédent en ce qui concerne la pratique d’imposer des mégaprojets par la violence. Son coût humain n’a pas encore été réellement estimé à ce jour. Plus de vingt ans après la mise en fonction du barrage, plusieurs communautés des alentours n’ont toujours pas accès à l’énergie électrique et dans bien des cas, les communautés affectées n’ont jamais été indemnisées.
Rien de bien attrayant pour les habitants de la région de l’Ixcán qui ont appris, il y a plus de deux ans, l’existence du projet hydroélectrique Xalalá, dont la construction est prévue dans le nord du Quiché. Selon les estimations de l’Institut national d’électrification (INDE), ce barrage aurait la capacité de produire 181 mégawatts, et permettrait à deux millions de Guatémaltèques d’accéder à l’énergie électrique. Or, on sait maintenant que Xalalá s’inscrit dans un vaste projet d’interconnexion de réseaux d’électricité pouvant acheminer l’énergie produite aussi bien vers le Salvador que le Honduras ou le Mexique. Un coup d’œil jeté à la carte du Guatemala figurant sur le site web de l’INDE suffit d’ailleurs pour constater que la projection du réseau électrique en 2012 n’inclut pas de lignes vers les zones marginalisées du pays. L’idée, avec Xalalá, n’est donc pas de fournir de l’énergie aux Guatémaltèques, mais bien de faire du Guatemala un pays exportateur d’électricité à prix compétitif dans le cadre du Plan Puebla Panama, selon une logique d’accumulation du capital financier privé, par ailleurs volatil.
La construction de Xalalá repose entre les mains du secteur privé, et la construction de centrales électriques plus petites en amont de Xalalá et de Chixoy est également prévue pour rendre fonctionnel ce vaste réseau d’intégration électrique dans la région centre américaine.
Haute tension entre les communautés et le gouvernement
Selon l’Association de communautés pour le développement et la défense des ressources naturelles (ACODET, de son sigle en espagnol), la construction du barrage Xalalá affecterait une quarantaine de communautés réparties dans trois districts municipaux3, représentant treize mille habitants. Dix-huit de ces communautés sont situées dans la zone de 7,5km2 qui sera assurément inondée. Avec un barrage qui s’élèverait à 285 mètres au-dessus du niveau de la mer, il est fort à parier que l’eau s’étendra beaucoup plus loin que ce que prévoit actuellement le gouvernement, dont les prévisions ne sont d’ailleurs pas des plus élaborées… Il n’existe en effet pas d’information officielle sur la zone qui sera réellement affectée par Xalalá : peu de données techniques, encore moins d’études approfondies sur les impacts sociaux et environnementaux du projet. Seules les organisations nationales et internationales, qui ont scruté l’initiative de près et visité les communautés possiblement affectées4, sont depuis un bon moment sur un pied d’alerte, et leurs conclusions sont beaucoup plus inquiétantes : le projet Xalalá affectera négativement l’accès des populations locales à l’eau et à la terre, compromettant par le fait même la sécurité alimentaire des communautés situées dans la zone du barrage ; sa mise en branle implique déjà des violations des droits humains5. Le gouvernement n’a pas davantage présenté de plan de compensations pour les familles susceptibles d’être affectées afin d’assurer la réinstallation de celles-ci sur des terres de qualité égale ou supérieure à celles qu’elles possèdent. Outre l’indemnisation économique, la mise en oeuvre éventuelle du projet devrait promouvoir la participation de la société civile. Pour le moment, la population demeure maintenue à l’écart par le gouvernement et les médias, tel que l’évoque un habitant de Las Margaritas Copón, l’une des dix-huit communautés qui risquent d’être inondées : « Les journaux disent que cette zone est inhabitée, qu’il n’y a que quelques familles qui devraient être déplacées, mais nous sommes des milliers de personnes. Pour le gouvernement, les rivières représentent de l’argent. Pour nous, elles sont notre vie6».
Violation du droit au consentement libre, préalable et informé
Comme dans la plupart des cas où des mégaprojets dits de « développement » sont imposés à la population, le gouvernement n’a pas jugé pertinent de consulter les communautés potentiellement affectées, alors qu’elles sont pourtant protégées en ce sens par un nombre important de conventions internationales sur les droits humains qui ont, en théorie, préséance sur la législation nationale. Face à cette omission volontaire, ce sont plus de 21 000 personnes qui se sont elles-mêmes prononcées en avril 2007 lors d’un référendum organisé par le mouvement de résistance au mégaprojet; près de 90% ont manifesté leur opposition à la construction du barrage hydroélectrique sur la rivière Chixoy. Pour les habitants de la région, il est évident que les bénéfices engendrés par la construction et la mise en opération de Xalalá vont retomber en grande partie sur le secteur industriel et celui des exportations agricoles, ainsi que sur l’ensemble des producteurs de biocombustibles et entreprises transnationales, les mêmes qui contrôlent actuellement la génération et la distribution d’électricité au pays7 et qui pressent le gouvernement de mettre en œuvre ces projets pour combler leurs besoins énergétiques.
Tout comme dans le cas des trente-deux autres référendums portant sur l’exploitation des ressources naturelles organisés par les populations et autorités locales depuis 2005, le résultat sans équivoque de la consultation communautaire en Ixcán n’a provoqué d’autre effet que d’avoir rendu visible un mouvement de résistance croissant dans le pays, et ce, en dépit des puissants acteurs économiques qui accusent ses militants de vouloir freiner leur propre développement. Les habitants des communautés affectées par les mégaprojets refusent d’emblée l’étiquette, revendiquant plutôt un développement communautaire inclusif qui puisse permettre l’accès à la terre, à des emplois durables, à des services sociaux de qualité, ainsi qu’à une information transparente dans la planification et la gestion des projets de développement.
L’énergie… pour le mouvement de résistance
En novembre 2008, sur moins de dix entreprises8 s’étant initialement montrées intéressées au projet de construction de Xalalá, aucune n’a finalement offert de soumission au gouvernement guatémaltèque, justifiant cette décision par un contexte économique mondial défavorable. L’une d’entre elles mentionnait par contre les risques élevés du projet au niveau social et environnemental dans la région de l’Ixcán. Cela n’allait pas plaire aux entreprises privée nationales, qui auraient pu recevoir une part du butin via le financement de la Banque Mondiale, ni aux fonctionnaires de l’INDE, qui évoquaient dès lors d’autres possibilités de financement pour que le projet Xalalá se fasse, coûte que coûte. Mais les habitants des communautés affectées n’ont pas non plus l’intention de baisser les bras, surtout pas après avoir obtenu cette petite victoire qui leur offre un sursis dans leur lutte pour la défense du territoire et de ses ressources.
Dans le contexte d’une politique énergétique nationale qui a pris la tangente de la privatisation, favorisant systématiquement le secteur industriel et celui de l’exploitation des ressources minières et pétrolières tout en limitant au maximum les contrôles étatiques, la tâche demeure titanesque.
Références :
1. En 2007, les barrages hydroélectriques représentaient 34% de la production d’énergie à l’échelle nationale, aux côtés du pétrole, du géothermique, du diesel et du charbon. Le gouvernement prévoit augmenter cette proportion à 58% pour l’année 2022.
2. En 1982, les forces armées de l’État commirent trois massacres, au cours desquels 444 des 791 habitants du village de Río Negro furent tués parce qu’ils s’opposaient à leur éviction forcée pour faire place à la construction de Chixoy. Au cours de l’un des massacres, ce sont 177 femmes et enfants qui périrent aux mains de patrouilleurs d’autodéfense civile formés par l’armée; les survivants furent forcés à vivre dans un village militarisé, à plus de 4 heures de distance de Río Negro qui allait disparaître sous les eaux.
3. Coban (département de Alta Verapaz), Uspantan et Ixcán (département de El Quiché
4. Depuis février 2007, l’équipe d’ACOGUATE offre un accompagnement à plusieurs communautés de la région qui se verraient affectées par le barrage Xalalá, advenant sa construction.
5. CIFCA, “Proyecto Xalalá. ¿Desarrollo para todos?”, 2009, en ligne : www.cifca.org
6. ACOGUATE, “Caso Ixcán y la hidroeléctrica Xalalá”, 25 de diciembre 2008, en linea, www.acoguate.blogspot.com
7. Notamment, Unión Fenosa et Ibedrola (Espagne) et Enel (Italie)
8. Parmis celles-ci : AES Corporation (États-Unis), Empresa Pública de Medellín (Colombie), Duje Energy (États-Unis), Enel (Italie), Unión Fenosa (Espagne), DongMyon (Corée du Sud), et des entreprises du Brésil. « El camino de la Justicia », survivants du génocide, Rabinal, École d’art Perquín. Photo : ECAP, février 2009.