Mise en contexte :
ACOGUATE a été créé en 2000 pour fournir un accompagnement international aux personnes ou organisations guatémaltèques du mouvement social et des droits humains qui se retrouvent en danger en raison de leur travail. Malheureusement, depuis octobre 2021, ACOGUATE a dû faire face à une campagne de désinformation et de diffamation, ainsi qu’à des tentatives de délégitimer son travail et de le criminaliser par des moyens pénaux et administratifs. Cette campagne a été menée à la suite de l’observation internationale de l’activité publique connue sous le nom de « Marche de la Dignité » qui s’est déroulée le 12 octobre dans la ville de Guatemala. Des membres d’ACOGUATE ont été faussement lié·e·s à la dégradation de monuments historiques réalisés en marge de la marche. Deux processus pénaux, les blocages administratifs, et une réduction drastique des financements de l’organisation l’ont fragilisée, mais ont surtout impacté directement son travail. Pendant plusieurs mois, les accompagnements ont été suspendus afin de maintenir la sécurité des membres d’ACOGUATE, mais aussi des personnes et organisations accompagnées.
En raison de ces nombreuses difficultés et l’abus de l’utilisation du droit pénal guatémaltèque, le conseil d’administration d’ACOGUATE a voté la dissolution de l’organisme. Un des plus grands impacts des conclusions de l’organisme est celui de l’isolement progressif de la société civile et des mouvements sociaux engagés dans la lutte contre l’impunité et la défense des terres et du territoire.
L’AMERTUME DE LA CRIMINALISATION LAISSE PLACE À DE NOUVELLES SAVEURS
Le 17 janvier 2023, quelques minutes passées 8 h, je me retrouve à la sortie de l’aéroport international La Aurora en plein milieu de la ville de Guatemala. Malgré la fatigue due au manque de sommeil, les odeurs de grillades, de la circulation et de la chaleur évoquent un sentiment de déjà vu réconfortant et nostalgique. Cinq ans plus tôt, presque jour pour jour, je me retrouvais au même endroit pour retourner vers mon confort québécois après la réalisation d’un mandat de six mois d’accompagnement international auprès d’ACOGUATE — Proyecto de acompañamiento internacional en Guatemala. Du haut de mes 21 ans, rien ne m’avait préparée à revenir cinq années plus tard avec une mission d’assister à la dissolution et à la fermeture de l’organisme qui m’avait tant donné et apporté, c’est-à-dire l’opportunité de devenir une meilleure version de moi-même, une meilleure humaine. En dépit d’une trame débilitante en raison des motifs de ma présence, cette mission fut dépeinte de solidarité, bienveillance, dévouement et humanité que rien ni personne ne peut ébranler.
Coude à coude face à l’adversité
Fili, grand gaillard à l’allure hippie et complètement submergé par le travail que peut représenter mettre en boîte plus de 20 années de vie de l’organisme, m’accueillait chaleureusement dans la maison-bureau. Je pouvais ressentir que malgré moi, mon arrivée était un moment décisif qui suscitait une prise de conscience collective. Conscience de la planification et du travail à réaliser pour la fermeture responsable et sécuritaire du bureau, et le temps limité dont nous disposions.
Heureusement, Pancho, un ami, collègue, musicien et expat québécois au Guatemala a offert une aide plus que généreuse dans les efforts de fermeture. Pancho et Fili avaient mis une fin prématurée à leurs repos des fêtes pour attaquer les obligations qui nous incombaient, car la remise des clés de l’espace loué approchait rapidement. L’équipe se complétait avec Gon et Glo. Gon, maître des chiffres et des aspects comptables des opérations. Introverti, touche-à-tout, humoriste et ricaneur à ses heures, est une personne qui charme à découvrir (comme ses talents d’exterminateur). Glo faisait partie de l’équipe contractuelle qui nous appuyait depuis plusieurs années dans l’entretien de la maison-bureau. Glo nous a sauvés à plusieurs reprises du désespoir par ses capacités accrues d’organisation. Elle a su réaliser des travails surhumains de gestion du matériel et de remise à neuf de l’espace.
Provenant d’horizons complètement différents, la petite escouade s’est rapidement créé une ambiance de travail à la fois productif (face à l’urgence de la situation), mais aussi dans la désinvolture. Nous avions tous·tes connaissance de la gravité de la situation et savions à quoi s’affairer. Il ne restait plus qu’à apporter un peu de légèreté pour balancer nos quotidiens. Que ce soit avec des petits cafés de la San Martín, des dîners de Pupusas ou des ensayos de musique du groupe de Pancho, ces petits répits savaient alléger nos journées bien remplies.
À travers la grande diversité des tâches à accomplir, j’ai eu la chance de pouvoir redécouvrir la ville qui m’avait adoptée pendant 6 mois, 5 ans plus tôt. En passant par le mercado central, la sexta avenida, ou encore la Simeón Cañas, pour aller acheter des pinceaux, un disque dur pour la systématisation de données, de la papeterie pour l’organisation des documents, la Zona 2 me semblait à la fois complètement transformée et inchangée. Chaque sortie de la maison-bureau était une aventure : rien ne se déroulait comme prévu. On découvrait un pneu à plat sur le camion loué, le magasin dont nous avions besoin était fermé, nous avons perdu l’accès à notre serveur, et j’en passe. Mais, ces moments ont été à la fois dépeints de déceptions, frustrations, mais aussi de fous rires, et de proactivité. Ces situations ont rendu évidentes la résilience et l’adaptabilité humaine face à l’adversité.
Retrouver des allié·e·s pour mieux se ressouder
Outre les journées de travail bien remplies au bureau, j’ai pu témoigner de l’entraide et la solidarité entre organismes au Guatemala. Plusieurs biens et matériaux de travail ont trouvé de nouveaux foyers auprès d’organisations ou collectifs qui opèrent à la ville de Guatemala, et qui étaient dans le besoin pour réaliser leurs propres activités. À cet égard, j’ai eu l’opportunité de rencontrer des personnes issues de différents milieux militants qui travaillent pour différentes luttes pour la justice sociale comme : UDEFEGUA, le Colectivo Estamos Aquí, le Colectivo 8 Tijax, et même des organisations sœurs de l’accompagnement international comme PBI et SweFor.
Nous avons aussi profité de ma présence pour représenter ACOGUATE et le PAQG à une convocation de la délégation basque espagnole qui souhaitait en apprendre davantage sur la situation des droits humains au Guatemala. Cela a été une occasion de discuter de la criminalisation des organisations non gouvernementales, mais aussi des difficultés de financement d’organisation qui travaillent dans le domaine de la justice transitionnelle (comme FAMDEGUA) qui peinent à survivre et à continuer leur travail en lien avec les violations des droits humains commis pendant le conflit armé, dans une perspective d’une justice globale. La situation est critique pour les organisations, tant sur le plan financier que politique et juridique, et la délégation basque a reçu ces préoccupations en vue de les apporter aux différentes instances politiques et gouvernementales espagnoles.
Finalement, j’ai aussi eu le privilège et l’honneur de rencontrer plus officiellement l’une des coordonnatrices du Colectivo 8 Tijax. Le collectif est composé de mères et alliées bénévoles qui soutiennent les familles et survivantes de la tragédie du foyer Hogar Seguro. Le Collectif lutte entre autres, pour la justice à l’égard des 41 victimes qui ont péri dans l’incendie survenu dans le foyer gouvernemental du Hogar Seguro Virgen de la Asunción dans la nuit du 7 au 8 mars 2017. C’est dans cette rencontre que nous avons pu présenter la campagne de la Défenseure de l’année du PAQG au collectif, et que par la suite, elles ont accueilli notre proposition de collaboration dans la campagne à travers la tournée d’une des coordonnatrices du collectif au Québec. C’est donc un réel honneur pour le PAQG de préparer l’arrivée de notre défenseure de l’année au Québec, prévu en automne 2023.
Dans l’ensemble, cette expérience a surtout mis en évidence la résilience, la solidarité et l’engagement des personnes et des organisations impliquées dans la lutte pour les droits humains au Guatemala en particulier, ou dans la solidarité internationale en général. Malgré les défis, la détermination et la résilience vues tout au long de la mission ont laissé entrevoir l’espoir d’un avenir meilleur pour les luttes sociales et la justice dans le pays et dans le monde.
Par Amélie Prévost, adjointe à la coordination du Projet Accompagnement Québec-Guatemala — PAQG, ancienne administratrice et ex-acco.