VOTRE FONDS DE RETRAITE SERT-IL À BAFOUER LES DROITS HUMAINS?
13 mai 2015

LAURENCE GUÉNETTE
COORDONATRICE DU PAQG
Parution originale: Huffington Post Québec, 12 mai 2015
Difficile de supposer que l’on apprend encore quelque chose à quelqu’un en disant que les compagnies minières canadiennes, associées partout dans le monde à de graves violations des droits humains et à une destruction environnementale éhontée, ont mauvaise presse. Mais saviez-vous que vos cotisations aux régimes de pensions publics du Canada et du Québec (Régie des rentes) sont investies dans des compagnies minières sur lesquelles pèsent des allégations extrêmement graves?

Lisez donc la suite en gardant en tête que vous êtes, vous aussi, actionnaire de Tahoe Resources et de Goldcorp Inc., qui possède près de la moitié de sa «petite sœur» Tahoe. Et que ce vendredi 8 mai 2015 se tenait à Vancouver l’assemblée générale des actionnaires de Tahoe Resources, qui se sont sans doute félicités des profits de la vente des métaux précieux sur les marchés mondiaux et des dividendes engendrés pour nos retraites.

Au Guatemala, la compagnie Tahoe Resources, une société canado-américaine inscrite à la bourse de Toronto, mène un projet minier des plus horripilants, appeléEscobal. D’abord, un permis d’exploitation, actuellement contesté devant les tribunaux guatémaltèques, a été octroyé illégalement. Puis des infrastructures minières construites durant un état d’exception en 2013, une espèce de loi spéciale permettant de militariser une région et de suspendre les droits constitutionnels de la population civile. Ensuite, des populations locales qui n’ont jamais été consultées, bien qu’elles en subissent directement les effets dommageables. Les communautés ont tout de même pris la peine d’exprimer leur opposition sur la place publique lors d’uneconsultation populaire qui a comptabilisé 98% de votes contre le projet. Mais cette voix n’est pas écoutée, malgré les obligations prévues par le droit international.

Les individus et communautés qui ont tenté au cours des trois dernières années de revendiquer leurs droits à l’autodétermination, à la santé et à la liberté d’expression face à l’imposition du projet Escobal ont subi une répression très brutale de la part de la compagnie minière ainsi que de l’État guatémaltèque. Entre 2012 et aujourd’hui, on compte l’attaque de manifestants pacifiques, 32 détentions arbitraires, 50 blessés dont 7 par balle lors d’un blocage non-violent, l’enlèvement de 4 leaders communautaires, des poursuites criminelles contre 90 personnes, dont de nombreuses personnes âgées, et l’assassinat de cinq personnes qui étaient impliqués dans l’organisation communautaire contre le projet minier de Tahoe Resources. Les plus récents sont Merilyn Topacio Reynosa, assassinée le 13 avril 2014 à l’âge de 16 ans, et Telesforo Odilio Pivaral, assassiné le 5 avril dernier.

L’écoute électronique de l’ex-chef de la sécurité privée de l’entreprise Tahoe Resources, qui fait actuellement face à des accusations pour avoir ordonné d’ouvrir le feu sur les manifestants en 2013, ne laisse place à aucun doute sur le caractère délibéré de cette violence: «Maudits chiens qui ne comprennent pas que la mine génère de l’emploi. Il faut se débarrasser de ces animaux. Je suis allé tabasser quelques fils de putes», expliquait-il, avant de rajouter «Oui, je les ai criblés de balles, qu’ils aillent se faire foutre!»

Les groupes de défense des droits n’en finissent plus d’alerter les décideurs, ambassadeurs et institutions d’investissement sur ces violences extrêmes (voir Mining Watch Canada, Amnistie internationale, Frontline Defenders, Oxfam, Projet Accompagnement Québec-Guatemala, Council of Canadians, Haut Commissariat des Nations unies pour les droits humains au Guatemala, etc).

N’est-ce pas suffisant pour remettre en cause cette entreprise qui se vante de «faire des affaires de façon honnête et éthique» et affiche sans honte sa «politique de droits humains» sur sa page web pleine de visages souriants? Ne serait-ce pas suffisant pour alarmer les investisseurs comme la Caisse de dépôt et placement du Québec, le Fonds de pension du Canada, le fonds de pension des employés du secteur public et plusieurs régimes d’épargne privés, qui se félicitent d’avoir adopté des politiques d’investissements responsables?

Nous avons les deux mains dans le sang, y compris moi qui écris ces lignes, et sommes les complices passifs de cette situation, tant que nous n’y réagirons pas. Au début de cette année, le Fonds de pension de Norvège a retiré tous ses investissements de la compagnie Tahoe Resources. En effet, son comité d’éthique constatait la gravité et la multiplication des violations de droits humains inacceptables en vertu des normes de responsabilité qui guident leurs décisions d’investissements.

Un avocat et environnementaliste guatémaltèque en visite à Montréal l’an passé, et travaillant abondamment sur le cas de la mine Escobal, ne mâchait pas ses mots: «Tout argent reçu par les investisseurs, des dividendes et des profits engendrés par l’activité minière à Santa Rosa (Guatemala) est taché de sang. Il s’agit du sang de personnes innocentes dont la seule faute a été de s’opposer au projet d’exploitation minière Escobal, propriété de Tahoe Resources Inc.»

À quand notre tour? Désinvestissons sur lefildelargent.org!

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